vendredi 23 juillet 2010

trois retours du sujet

Retour #1 Prenez ce blog. Ce n'est pas un blog professionnel, c'est un blog personnel développé à partir de thèmes professionnels, ou ordinairement considérés comme tels. Mais les thèmes en question, bien que couramment abordés avec les outils traditionnels des "sciences" de gestion (qui sont au mieux - mais sont rarement, il faut bien le dire - des sciences sociales appliquées), requièrent, selon moi, une approche personnelle. Il faut donc un blog personnel, avec un point de vue subjectif, pour les traiter de la bonne façon.

Retour #2 Prenez la stratégie. On a longtemps cru que "l'art de la stratégie" reposait sur l'analyse la plus fine possible de son environnement. Un peu de réflexion montre qu'en réalité, l'environnement économique est trop multiple, complexe et globalisé pour être "analysé" d'une façon un tant soit peu sérieuse, et qu'un "art de la stratégie" consommé, aujourd'hui, est un art de la spontanéité. L'ancienne approche de la stratégie se voulait objective et se parait des oripeaux de la scientificité. Mais c'était une fiction entretenue par le marché du conseil en stratégie. La nouvelle approche, que j'ai appelée, un peu par provocation, l'approche "nihiliste" dans le billet précédent, est subjective de part en part. Elle exprime une subjectivité (elle est introspective, mettant en avant le travail sur soi) et s'adresse à des subjectivités (elle est dialogique, mettant en avant la discussion avec ses parties prenantes). Ainsi, elle ne peut être systématique ; elle renonce à l'objectif illusoire de saisir de "grandes logiques globales" pour se concentrer sur des problématiques précises et localisées. Notez cependant qu'elle est en rien "post-moderne". En fait, les experts en stratégie étaient très en retard, avec leurs outils intellectuels empruntés à la réflexion militaire, qui nous faisaient croire à l'existence d'une mystérieuse "guerre économique". La nouvelle approche est une simple mise à jour. Introspective, dialogique, non-systématique, la stratégie entre enfin dans la modernité. Les stratèges (vraiment) modernes assument leur subjectivité.

Retour #3 Prenez la philosophie et les sciences de l'esprit. Avant, l'esprit était une sorte d'ordinateur très compliqué, une machine. Aujourd'hui, grâce à l'essor parallèle des neurosciences et du "problème de la conscience", c'est un sujet, un centre d'expériences. Un sujet qui a des expériences subjectives : qui souffre, jouit, a peur, aime, hait, voit, sent, entend, touche, doute, imagine, a honte, est fier et même... réfléchit à nouveau sa propre subjectivité, comme au temps de Descartes et de son fameux Cogito.
(Passage au premier plan du concept d'expérience : une autre de mes obsessions du moment. Et une vieille connaissance, aussi.)

Trois "retours du sujet", ou plutôt de la subjectivité. On ne peut que s'en féliciter. Je parle des retours que je connais et il y en a probablement d'autres en d'autres domaines, car c'est un mouvement de fond. Des idées?

vendredi 16 juillet 2010

pour le nihilisme en stratégie

La part de hasard - ensemble des facteurs non prévisibles et non maitrisables qui peuvent influencer l'action - est trop grande dans la vie économique pour que la stratégie, au sens classique, puisse y avoir sa place, le comportement spontané ayant même l'avantage d'être moins prévisible et imitable que le comportement stratégique. Il semble donc que l'incidence d'une stratégie d'entreprise conçue et mise en oeuvre dans les règles de l'art sur la probabilité pour cette entreprise d'obtenir de meilleurs résultats soit à peu près nulle. Quelques autres arguments en vrac:

Une "stratégie" est gagnante ou perdante relativement à un contexte donné. Mais le contexte socio-économique, contrairement à un contexte militaire par exemple, est aujourd'hui globalisé (donc hyper-complexe) et instable. L'environnement change ainsi trop vite pour permettre à n'importe quelle stratégie d'entreprise de se réaliser ne serait-ce qu'en partie.

Ensuite, la mise en oeuvre d'une "stratégie" a évidemment des conséquences directes sur les "stratégies" élaborées et mises en oeuvre par les autres acteurs concernés (notamment sur celles de ses propres parties prenantes) dont le nombre non seulement est indéfini mais varie dans le temps. Le jeu des anticipations croisées rend impossible, en pratique, la prise en compte de plus que d'un sous-ensemble extrêmement réduit des "stratégies" potentielles qu'il faudrait pourtant analyser en détails pour trouver la (ou une) "stratégie" appropriée.

Enfin, le sens des stratégies à construire est brouillé, car il y a de "bonnes" stratégies perdantes et de "mauvaises" stratégies gagnantes. Il peut ainsi être avantageux de perdre ou désavantageux de gagner dans une situation donnée, au regard d'un ensemble de critères plus large que ceux que l'on avait jusque-là considérés. Déjà, en elle-même, la dynamique stratégique est porteuse d'ambiguïté : une stratégie S est toujours une partie d'une stratégie S' à plus long terme, et ainsi de suite à l'infini (il n'y a pas de Souverain Bien pour une entreprise). Une action, un "coup" particulier dans un jeu stratégique, n'a donc pas le même sens si on la considère comme contribuant à la réalisation de S ou de S'. Et il n'est le plus souvent pas possible de trancher "stratégiquement" entre les différentes échelles temporelles en balance.

(Incidemment, on voit que la "guerre économique" n'existe que dans les livres et, peut-être, dans les esprits de quelques "experts" autoproclamés.)

L'attitude stratégique que préconisent les manuels et les spécialistes recommande aux dirigeant(e)s d'analyser soigneusement leur environnement, ses grands équilibres et déséquilibres, ses opportunités et ses menaces, en cherchant à collecter le maximum d'informations pertinentes - et, faute de temps, en confiant cette tache à des experts, dont on se rend ainsi dépendant. Mais elle est improductive et intenable dans la durée.

La meilleure attitude à adopter pourrait être une spontanéité assumée et contrôlée, ouverte sur le dialogue avec les autres acteurs. Les dirigeant(e)s les plus éclairé(e)s, ayant conscience de l'impossibilité de maîtriser leur environnement, se feraiennt confiance et feraient confiance à leurs partenaires, cherchant à exprimer de façon plus ou moins intuitive les intérêts d'une "communauté" de parties prenantes.

Bien sûr, on n'échappe pas à la stratégie. La sortie que je propose : l'art de la spontanéité comme nouvel "art de la stratégie".

vendredi 9 juillet 2010

critères de la "communauté"

A l'heure où les community managers prennent le pouvoir, on peut se demander si un ensemble de clients (ou l'ensemble des clients, voire des parties prenantes) d'une entreprise peut réellement être conçu et piloté comme une communauté. La réponse dépend bien sûr de la façon dont on définit le mot "communauté".

Même s'il n'est pas possible de fixer l'essence d'une communauté (parce que le terme ne désigne pas, pour le dire techniquement, une "espèce naturelle"), on peut s'entendre sur un certain nombres de critères:
- la cohésion entre les membres (qui n'implique pas forcément la coopération),
- la spontanéité,
- la promiscuité informationnelle,
- la conscience de former une communauté (qui implique la maîtrise, au moins relative, du concept de communauté - ce qui exclut les animaux non humains les moins sociaux).

Le choix de ces critères mérite quelques commentaires. Alors que la cohésion me parait une condition évidente pour qu'un ensemble quelconque d'individus (ou d'autres choses) puisse être considéré comme une communauté, ce n'est pas le cas des trois autres.

La spontanéité est importante en ceci qu'une communauté ne se forme pas en vue de satisfaire l'intérêt (maximiser l'utilité) particulier ou collectif de ses membres. Il y a quelque chose de fondamentalement non stratégique, de quasi-organique dans une communauté. Mais une communauté peut se former, par exemple, à partir de goûts communs, d'idées et d'expériences partagées: c'est comme ça que se forment les communautés d'utilisateurs et les communautés religieuses ou culturelles qui effraient tant nos chers Républicains.

Ce point est important d'un point de vue opérationnel : on n'anime pas une communauté comme s'il s'agissait d'un regroupement en vue de l'avantage mutuel ou collectif.

La promiscuité informationnelle est une caractéristique essentielle pour saisir la spécificité de la distribution de l'information au sein d'une communauté. Contrairement à une organisation hiérarchique, où l'information est distribuée de façon asymétrique, en fonction de la distribution du pouvoir au sein de celle-ci, l'information est distribuée de façon relativement égalitaire dans une communauté, qui est comme un village où "tout se sait". (Dans les communautés villageoises, il y a beaucoup moins de "vie privée".)

La conscience de former une communauté est le critère qui me parait le moins évident, même s'il est souvent mentionné par les sociologues qui étudient les phénomènes communautaires. Il semble contredire, ou affaiblir, en partie le critère de la spontanéité, qui n'est pas négotiable, me semble-t-il. La spontanéité, en effet, peut très s'accommoder d'une absence de conscience réflexive. Néanmoins, la conscience est une condition suffisante : si les membres d'un groupe quelconque ont conscience de former une communauté, alors ils forment effectivement une communauté.

Encore une fois, cet exercice de définition n'est pas philosophique : il s'agit bien de trouver des principes efficaces pour identifier, construire, piloter et animer les communautés.

En supposant que l'exercice ait porté ses fruits, on peut maintenant essayer de répondre à la question de départ : un ensemble de clients, ou tous les clients, voire toutes les parties prenantes, d'une entreprise peuvent-ils former une communauté? La réponse est positive, me semble-t-il, dans la mesure où il est possible de réunir artificiellement les conditions pour qu'un ensemble d'individus (ou d'autres choses) forme une communauté. Cependant, cette construction a un coût. Ici comme ailleurs, la possibilité n'équivaut aucunement à la faisabilité...

jeudi 8 juillet 2010

ce blog : portrait anticipatif

Une description succincte : "blog professionnel à tonalité introspective, plus descriptif qu'argumentatif".

Et si je devais résumer en une formule son objectif général, je dirais quelque chose comme : partager pour apprendre. Rien d'original, d'ailleurs, c'est en fait probablement l'objectif principal de tout blog.

Mais on peut en décrire un peu plus en détails les principales caractéristiques en distinguant trois dimensions.

(Bien entendu, pour l'instant, c'est un portrait par anticipation. Il s'agit surtout d'expliciter, pour moi et pour le lecteur, ce qu'on peut attendre de la suite des évènements.)

- La fabrication, ou plutôt l'émergence - parce qu'il y a beaucoup plus de spontanéité que de calcul - d'une identité narrative (P. Ricoeur) et dialogique (C. Taylor) plus riche, plus "multiple".

- Une histoire : une série de conversations, plus ou moins abstraites, plus ou moins intimes, nouées - prises et reprises - dans la dimension feuilletonnesque du blog. Pour moi, une série d'expériences subjectives. Et donc une série d'expériences partagées, avec les lecteurs. Au sens strict : des expériences - états mentaux subjectifs - qui ont différents sujets, chacun en étant pleinement le sujet : j'ai un jour défendu l'existence de tels états, qui est contestée, dans un colloque international de philosophie - succès mitigé.

- La création et l'animation intellectuelle d'une - minuscule - communauté ad hoc, ou "virtuelle": la communauté des lecteurs, distincte bien que connectée partiellement à la - minuscule - communauté des "suiveurs" de mes tweets. Il s'agit d'une véritable communauté, fondée sur une histoire commune, sur des expériences partagées, pas un simple réseau structuré autour des informations échangées. Bien que ce ne soit pas nécessairement une communauté affective (même si l'amitié est encouragée...), c'est une communauté cognitive.

Ca fait trois. Je reviendrai, beaucoup, sur la notion de communauté... Une de mes obsessions du moment.

mercredi 7 juillet 2010

entreprise et société

Tout le monde (ou presque) cherche à renouveler la conception traditionnelle de l'entreprise comme agent économique autonome, isolé de la société qui l'entoure. Tout le monde (ou presque) est conscient qu'une entreprise est en réalité un "écosystème" complet, une coalition d'acteurs un tissu de relations entre "parties prenantes" : dirigeants, salariés, actionnaires, clients, fournisseurs, état, collectivités, ONG, ...

Ce qui change, d'un point de vue stratégique, ce n'est pas seulement que les questions de distribution de l'information et de la réputation parmi les parties prenantes passent au premier plan, comme le pensent les spécialistes les plus éclairés de la communication et de l'opinion.

Avec la conception traditionnelle de l'entreprise, c'est toute la conception traditionnelle de la stratégie qui se trouve renversée.

L'essor des NTIC, et en particulier le développement du web 2.0, promet de rendre opérationnelle cette reconception (ai-je dit que j'empruntais le mot "reconception" au philosophe américain Nelson Goodman?). Le "reconcepteur", qui est d'abord un stratège, dispose ainsi d'une boite à outils.

Mais chaque entreprise est différente, et, ici comme ailleurs il n'y a pas de reconception générale, impersonnelle, qui soit possible. C'est donc aux parties prenantes et aux dirigeant(e)s de chaque entreprise qu'incombe fondamentalement la tâche de la reconcevoir pour la rendre plus performante, plus créative, plus vivante.

première personne, premier sujet

J’ai toujours été fasciné par l’écriture automatique. Je suis sûr que Breton aurait adoré les blogs, bazars objectifs.

Le plus difficile : ne pas faire attention au style. Cela signifie : ne pas faire attention aux autres, à la façon dont ils vous perçoivent. “Les défauts du style sont les défauts de l’homme.” (En passant, un exemple d’usage déviant des guillemets : la transformation de citation.)

On dit que les surréalistes ont abandonné l’écriture automatique parce qu’ils faisaient spontanément des alexandrins. C’est peut-être apocryphe, mais - comme un roman qui doit viser, non le vrai, mais le vraisemblable - cet abandon me paraît tout à fait plausible et, surtout, riche d’enseignement.

Pour être authentique, la spontanéité doit être réfléchie, pilotée, contrôlée. (On pourrait dire la même chose de l'éthique... Ou comment introduire un nouveau sujet dans la conversation.)