vendredi 16 juillet 2010

pour le nihilisme en stratégie

La part de hasard - ensemble des facteurs non prévisibles et non maitrisables qui peuvent influencer l'action - est trop grande dans la vie économique pour que la stratégie, au sens classique, puisse y avoir sa place, le comportement spontané ayant même l'avantage d'être moins prévisible et imitable que le comportement stratégique. Il semble donc que l'incidence d'une stratégie d'entreprise conçue et mise en oeuvre dans les règles de l'art sur la probabilité pour cette entreprise d'obtenir de meilleurs résultats soit à peu près nulle. Quelques autres arguments en vrac:

Une "stratégie" est gagnante ou perdante relativement à un contexte donné. Mais le contexte socio-économique, contrairement à un contexte militaire par exemple, est aujourd'hui globalisé (donc hyper-complexe) et instable. L'environnement change ainsi trop vite pour permettre à n'importe quelle stratégie d'entreprise de se réaliser ne serait-ce qu'en partie.

Ensuite, la mise en oeuvre d'une "stratégie" a évidemment des conséquences directes sur les "stratégies" élaborées et mises en oeuvre par les autres acteurs concernés (notamment sur celles de ses propres parties prenantes) dont le nombre non seulement est indéfini mais varie dans le temps. Le jeu des anticipations croisées rend impossible, en pratique, la prise en compte de plus que d'un sous-ensemble extrêmement réduit des "stratégies" potentielles qu'il faudrait pourtant analyser en détails pour trouver la (ou une) "stratégie" appropriée.

Enfin, le sens des stratégies à construire est brouillé, car il y a de "bonnes" stratégies perdantes et de "mauvaises" stratégies gagnantes. Il peut ainsi être avantageux de perdre ou désavantageux de gagner dans une situation donnée, au regard d'un ensemble de critères plus large que ceux que l'on avait jusque-là considérés. Déjà, en elle-même, la dynamique stratégique est porteuse d'ambiguïté : une stratégie S est toujours une partie d'une stratégie S' à plus long terme, et ainsi de suite à l'infini (il n'y a pas de Souverain Bien pour une entreprise). Une action, un "coup" particulier dans un jeu stratégique, n'a donc pas le même sens si on la considère comme contribuant à la réalisation de S ou de S'. Et il n'est le plus souvent pas possible de trancher "stratégiquement" entre les différentes échelles temporelles en balance.

(Incidemment, on voit que la "guerre économique" n'existe que dans les livres et, peut-être, dans les esprits de quelques "experts" autoproclamés.)

L'attitude stratégique que préconisent les manuels et les spécialistes recommande aux dirigeant(e)s d'analyser soigneusement leur environnement, ses grands équilibres et déséquilibres, ses opportunités et ses menaces, en cherchant à collecter le maximum d'informations pertinentes - et, faute de temps, en confiant cette tache à des experts, dont on se rend ainsi dépendant. Mais elle est improductive et intenable dans la durée.

La meilleure attitude à adopter pourrait être une spontanéité assumée et contrôlée, ouverte sur le dialogue avec les autres acteurs. Les dirigeant(e)s les plus éclairé(e)s, ayant conscience de l'impossibilité de maîtriser leur environnement, se feraiennt confiance et feraient confiance à leurs partenaires, cherchant à exprimer de façon plus ou moins intuitive les intérêts d'une "communauté" de parties prenantes.

Bien sûr, on n'échappe pas à la stratégie. La sortie que je propose : l'art de la spontanéité comme nouvel "art de la stratégie".

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